Pages

mardi 7 décembre 2010

Premier bilan des tensions coréennes (novembre 2010)

Vous avez peut-être remarqué la "Une" du Courrier International de cette semaine. Celui-ci propose un dossier sur la Corée du Nord. Après avoir lu divers articles ci et là, je m'essaie à une synthèse à chaud des événements qui ont lieu en péninsule coréenne.
Tout d'abord, un petit rappel des effectifs des armées des deux pays (source : Courrier International) :



Pourquoi la Corée du Nord a-t-elle bombardé l’île sud-coréenne de Yeonpyeong dix jours après avoir permis à un scientifique américain de visiter son usine d’enrichissement d’uranium? Les autorités sud-coréennes, se refusent absolument à voir un lien entre les deux événements et soulignent que l'émissaire américain était reparti de Pyongyang avec un message officiel invitant Washington au dialogue et à la reprise des négociations à six (les deux Corée, les Etats-Unis, la Chine, la Russie et le Japon). Il apparaît alors complètement absurde et insensé de bombarder des civils sud-coréens dans la foulée !!! Un chercheur d’un centre de recherche sud-coréen voit une explication dans la séquence des événements à dix jours d’intervalle : “L’enrichissement d’uranium était destiné aux Américains et les bombardements aux Sud-Coréens, selon une stratégie bien ficelée. Le Nord pense que les Sud-Coréens ne sont pas aussi impressionnés que les Américains par les révélations sur l’enrichissement d’uranium qu’il pratique.” Autrement dit, le régime dirigé par la dynastie Kim aurait jugé que ces récentes informations ne produiraient pas un effet suffisant sur les Sudistes [dont ils veulent obtenir davantage d’aide économique] et il a voulu frapper un coup supplémentaire [en visant la politique conservatrice du président sud-coréen, Lee Myung-bak].
Les récentes révélations sur le nucléaire nord-coréen et la canonnade sont donc destinées à pousser les Etats-Unis et la Corée du Sud vers la table des négociations. Et les Nord-Coréens sont pressés, car ils doivent atteindre leurs objectifs : devenir en 2012 (date commémorant le centenaire de la naissance de Kim Il-sung, fondateur du régime) une "nation puissante et prospère" et améliorer le niveau de vie du peuple qui est souvent sujette à la disette voire à la famine

Considérations géopolitiques


La sécurité en Asie du Nord-Est est un enjeu majeur sur la scène internationale. La zone maritime où s’est produit l’échange de tirs est une région qui n’a jamais été paisible. L’espace maritime sous contrôle nord-coréen est délimité par ce qu’on appelle la “ligne de démarcation nord”, mais la Corée du Nord conteste son tracé [décidé par les Nations unies après la guerre de Corée (1950-1953)], auquel elle oppose sa “ligne de sûreté méridionale”. Depuis la signature de l’armistice de Panmunjom (1953), cet espace maritime a été le lieu de nombreux combats d’artillerie. Lors du dernier incident, tout a commencé par des manœuvres militaires défensives sud-coréennes dans cette zone, qui ont entraîné un bombardement de l’île de Yeonpyeong par la Corée du Nord, puis la riposte de la Corée du Sud. On peut dire qu’il s’agit d’un accrochage fortuit. Mais s’il n’y a pas révision des politiques stratégiques des deux parties, cet incident, qui n’était pas le premier du genre, ne sera pas non plus le dernier… 
Dans cet échange d’artillerie, il faut étudier les réactions des différents pays. La position des Etats-Unis est bien résumée par l’éditorial du Washington Post du 24 novembre, où l’on peut lire : “en tentant de réfréner la Corée du Nord, la diplomatie américaine vise Pékin et non Pyongyang”. Après le bombardement de l’île sud-coréenne, le projet longtemps repoussé de manœuvres militaires en mer Jaune (ou mer de l’Ouest) avec l’engagement d’un porte-avions (USS Washington) a été remis à l’ordre du jour aux Etats-Unis et rapidement approuvé. Cet incident permet aux Etats-Unis de faire évoluer sans encombre leur porte-avions dans cette zone maritime très sensible pour la Chine et rend la Corée du Sud encore plus dépendante de son alliance militaire avec les Etats-Unis, dont le poids dans la région d’Asie du Nord-Est se trouve renforcé.



Par contrecoup, la Corée du Sud apparaît comme le principal perdant dans cette affaire. Sous le gouvernement de Lee Myung-bak, qui rejette la “politique du rayon de soleil” [cette politique de l’ancien président Kim Dae-jung visait la réconciliation et la coopération avec la Corée du Nord], les relations entre les deux Corées n’ont cessé de se dégrader. Les incidents graves se sont multipliés : touriste abattue dans les monts Kumgang, corvette Cheonan coulée, tirs d’obus, échanges de tirs d’origine prétendument accidentelle dans la zone coréenne démilitarisée. Cela s’est traduit par de lourdes pertes à la fois humaines et matérielles. De plus, la posture sud-coréenne qui a consisté à exiger de la Chine qu’elle fasse pression sur la Corée du Nord a légèrement agacé Pékin et a quelque peu détérioré les relations de la Chine avec la Corée du Sud. Au bout du compte, cela restreint la marge de manœuvre coréenne et augmente sa dépendance militaro-diplomatique vis-à-vis des Américains. Peut-être que le ministre de la Défense n'aurait pas dû être le seul à démissionner face à cet échec diplomatique !!!

Face à une situation aussi trouble, quelle position doit adopter la Chine ? Les deux Corées sont des pays qui ont une importance stratégique pour les intérêts de la Chine. Tant que ni l’un ni l’autre n’auront de solutions claires, la Chine doit se montrer prudente dans ses prises de position. D’autant que, lorsque les Etats-Unis, le Japon et la Corée du Sud pressent la Chine d’intervenir, ils n’ont pas en tête seulement la Corée du Nord, mais ils visent en réalité à se prémunir d’une Chine qui monte en puissance. Telle est la tonalité qui guide le “retour” en Asie des Etats-Unis : c’est aussi un moyen de contenir la Chine. Les relations sino-américaines sont également une nouvelle fois mises à l’épreuve à cette occasion. La Chine se refuse à mettre au pas son turbulent voisin nord-coréen, comme le gouvernement Obama l’en a suppliée la semaine dernière, parce qu’elle ne veut pas déstabiliser le régime de Pyongyang au risque de le voir s’effondrer, ouvrant alors la voie à une réunification entre les deux Corées. Pour Andrew L. Oros, spécialiste de l’Asie au Washington College, “la Chine redoute avant tout la perspective d’une Corée réunifiée, avec la présence sur place de troupes américaines.” Une Corée du Nord redevable à la Chine et totalement dépendante d’elle sert de tampon contre la présence américaine dans son arrière-cour. Mais les fuites de Wikileaks infléchiraient cette tendance.

“Nous sommes toujours aux prises avec les séquelles de l’unilatéralisme”, assure l’expert David Rothkopf. Des séquelles qui, selon lui, poussent les Américains à croire “qu’ils sont la dernière grande puissance et que l’objectif de leur politique étrangère consiste à mettre le monde d’accord avec cet état de fait. Au contraire, estime David Rothkopf, de nombreux pays comme la Chine dépendront de moins en moins de Washington et œuvreront de plus en plus pour leurs intérêts nationaux. “Nous sommes sortis du contexte bipolaire de la guerre froide pour passer par une brève période de fantasme unilatéral où nous nous voyions en unique superpuissance mondiale. Aujourd’hui, nous voilà dans un nouveau système où les grandes puissances sont multiples, et qui nécessite une diplomatie à l’ancienne, celle de l’équilibre des puissances”, conclut David Rothkopf.


Ce jeu d'alliance à l'ancienne est visible à l'aune de divers indices:
- visite d'Obama en Inde pour conforter l'alliance Washington-New Delhi
- exercices militaires conjoints avec la Corée du Sud depuis le bombardement nord-coréen
- exercices militaires conjoints avec le Japon (depuis vendredi dernier, 44.500 militaires américains et japonais conduisent des manœuvres aéronavales de grande ampleur au large de l'île d'Okinawa)
- visite des ministres des Affaires étrangères coréen et japonais à Washington pour s'entretenir avec Hillary Clinton. Sur le plan diplomatique, les Etats-Unis tentent de bâtir un front antichinois avec Tokyo et Séoul afin de bloquer toute reprise sans condition des pourparlers à six.

Espérons que les différents protagonistes n'en restent qu'aux manoeuvres d'intimidation... !!!!!

6 commentaires:

  1. Salut Cyril!
    Sympa ton blog...
    Cet article n'est pas mal non plus.
    J'ai quelques remarques:
    -je ne dirais pas que les Etats-Unis ont "supplié" la Chine. leur ton n'avait rien de suppliant. Il l'ont plutôt fortement enjointe à...
    -si la Chine craint sans doute une réunification coréenne avec troupes US, la justification pour mettre des troupes US et pas ONU sera difficile à trouver.
    -il me semble que la Chine craint avant tout un effondrement brutal de Pyongyang puisque celui-ci se traduirait par un afflux de réfugiés.
    -la Chine est maintenant loin d'approuver son allié de façon inconditionnelle
    -Ne peut-on pas voir dans ces bombardements une manoeuvre à vocation interne de la part de Pyongyang? Alors que la succession est en cours et qu'il a fallu purger, il semble tentant de redonner de la cohésion en luttant contre un ennemi commun...

    Sur ce, bonne soirée!

    Laurent

    RépondreSupprimer
  2. Merci pour ton commentaire, Laurent !!!

    Je suis d'accord avec toi sur le statut paradoxal que pourrait revêtir une réunification coréenne pour la Chine et les US.
    La Chine n'aurait plus de zone tampon avec le gouvernement libéral sud-coréen

    Les Etats-Unis n'auraient plus de véritable justification pour avoir leurs propres troupes en Corée si la Corée du Nord tombe... des troupes onusiennes seraient attendues à la place des Marines!
    D'où la thèse de l'exacerbation des tensions coréennes par les Américains eux-mêmes pour continuer à garder une légitimité quant à leur présence dans la péninsule (cf. l'article sur le Cheonan : http://cyrildaehanminguk.blogspot.com/2010/06/cheonan-analyse-et-ouverture-de-debat.html)

    Oui, la Chine se défie de plus en plus de Pyongyang, ce voisin ingérable!! cf. http://cyrildaehanminguk.blogspot.com/2010/11/korean-wikileaks.html

    Pour les réfugiés, la Chine en recevrait beaucoup mais la Corée du Sud paierait plein pot le prix de la réunification

    Quant à la manoeuvre interne de légitimation du nouvel héritier, c'est quasi indéniable (cf. http://cyrildaehanminguk.blogspot.com/2010/11/tensions-coreennes.html)

    RépondreSupprimer
  3. Merci pour ta réponse Cyril! Je n'avais pas vu ton autre article... en tout cas c'est super sympa de ta part de te donner du mal avec ce blog.
    L'article sur le site d'amitié franco-coréenne est intéressant, mais cette théorie n'est-elle pas un peu complotiste sur les bords? Causer un accident (que ce soit de la part de la Corée du Sud ou des US) qui tue 44 personnes, c'est quand même extrêmement lourd et risqué dans une société développée... n'est-il pas davantage possible qu'un accident aux causes mal établies ait été monté en épingle?

    Sinon tu fais quoi en ce moment?

    Moi, je suis en thèse sur les catastrophes naturelles en Chine. Il faut aussi que je progresse en chinois (mais ça avance).
    Bref bref...

    RépondreSupprimer
  4. Hypothèse probable : exercices militaires coréens commandés en fait par les US qui voulaient tester la réactivité nord-co! Franchissement de la frontière nord inopinée ou volontaire par le Cheonan suite à de mauvais ou de faux ordres!

    Je suis consultant en risques opérationnels ces temps-ci (CDI) et progresse doucement en coréen au CCC (centre culturel coréen)
    @tout vite IRL ^^

    RépondreSupprimer
  5. et pour mettre tout le monde d'accord, ce superbe article de Pravda ( je pensais pas me vanter un jour de l'avoir lu mais c'est quand même drôle :) surtout les commentaires d'ailleurs )
    http://english.pravda.ru/hotspots/conflicts/24-11-2010/115920-media_seriously_missing_something_from_korea-0/

    RépondreSupprimer
  6. Merci pour le lien chère Monacale :)
    Les exercices militaires coréano-américains s'inscrivent, indépendamment de l'attaque nord-coréenne du 23 novembre, dans le cadre d'un durcissement des relations inter-coréennes depuis l'accession au pouvoir de Lee Myung-bak et la mise à mal de la "sunshine policy"

    Vestalement,

    RépondreSupprimer